Le stagiaire est bien mieux placé que quiconque dans l’entreprise pour mettre en œuvre un changement. Cette vérité contrintuitive est révélatrice d’une transformation fondamentale de notre société. Le Français n’est plus supposé être un exécutant, il doit prendre son sort en main. Un cas.
L’entreprise E produit des machines de contrôle pour l’industrie lourde. Elle est achetée par le fonds F. Un des dirigeants de F rejoint E, en tant que directeur financier. Il doit faire entrer rapidement de l’argent dans les caisses de E afin de rembourser l’emprunt qui a permis l’achat. Il dresse un tableau des encours et exige des commerciaux de E qu’ils collectent les fonds correspondants. Ils lui répondent que ses calculs sont faux. Le ton monte. La situation est bloquée. Il décide de recruter un contrôleur de gestion stagiaire qui puisse l’aider à corriger ses tableaux. Celui-ci découvre que l’information dont il a besoin est invraisemblablement éparpillée. Il doit mener une véritable enquête pour la trouver. Or, ceux qui la possèdent lui sont hostiles. Et, à chaque fois qu’il pense tenir la solution au problème posé, on lui signale qu’il a oublié certains contrats, ou certaines clauses. Mais il tient bon. Finalement, il établit une situation exacte. Il constate alors que les retards de paiement sont colossaux (par exemple 60 % des acomptes ne sont pas payés, or ils représentent de l’ordre de 15 % du chiffre d’affaires). Cette fois-ci la direction commerciale obtempère, et récolte ce qui est dû à E. E se révèlera finalement beaucoup plus rentable que prévu.
Ce qui bloque le changement est un dysfonctionnement organisationnel
Ce cas illustre une caractéristique générale de tout changement. Ce qui bloque un changement est un dysfonctionnement organisationnel. Ici, le changement consistait à amener les commerciaux à collecter des encours. Ce qu’ils ne pouvaient faire, faute des données correctes, éparpillées dans la société.
Réussir un changement, c’est donc éliminer ce dysfonctionnement. Pour cela il faut un « animateur du changement » qui fasse travailler à sa résolution, de manière transversale, les parties prenantes du problème. Un stagiaire est idéalement placé pour tenir ce rôle.
L’entreprise exige maintenant de l’employé qu’il prenne son sort en main
Si peu de stagiaires jouent les animateurs du changement, c’est du fait d’une mauvaise compréhension de ce qui est attendu d’eux. Le stagiaire s’estime un exécutant. Il observe les dysfonctionnements de l’entreprise qui l’emploie (ne serait-ce que la non tenue des promesses qu’on lui a faites), et juge que, de leur fait, il est incapable de faire quoi que ce soit d’utile et d’intéressant. L’entreprise pense, au contraire, qu’en lui ouvrant ses portes, elle lui a donné des opportunités qu’il doit saisir. Le stagiaire prend excuse du dysfonctionnement pour être passif. L’entreprise s’attend à ce qu’il fasse preuve d’initiative pour l’éliminer.
En fait, il y a ici le signal d’une transformation profonde et majeure de notre modèle culturel. L’attitude du stagiaire reflète la tradition française telle que décrite, par exemple, par Tocqueville ou Crozier. Dans ce modèle, dit bureaucratique, l’individu est un exécutant, voire un assisté. Or, l’État et l’entreprise attendent maintenant de l’homme qu’il soit responsable, qu’il prenne son sort en main. Il ne doit plus arguer du dysfonctionnement pour justifier son inaction. Il doit faire ce qu’il faut pour y remédier. Quitte à demander à ses « supérieurs hiérarchiques » les moyens qu’il juge nécessaires au changement.
Par Christophe Faurie
Iemploi.net
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